Introduction aux déficits neurocognitifs reliés au VIH

Les personnes vivant avec le VIH s’inquiètent, et avec raison, par rapport à leur mémoire. Malgré l’augmentation de leur espérance de vie, il semble de plus en plus clair que cette maladie chronique affecte à la fois la cognition et la santé mentale, et ce, même en dépit d’un excellent contrôle viral systémique. Bien que nous commençons tout juste à les comprendre, ces comorbidités émergentes semblent résulter de l’interaction entre multiples processus. Le VIH a des effets directs sur le cerveau; la thérapie antirétrovirale hautement active ne pénètre pas entièrement le Système Nerveux Central, occasionnant un réservoir permettant la réplication du virus où l’inflammation peut affecter la fonction cérébrale. Les antirétroviraux pourraient être eux-mêmes neurotoxiques, de façon similaire que les comorbidités communes: vieillissement, dépression, maladies cardiovasculaires, abus de substances et infection à l’hépatite C. Vivre avec une infection chronique peut menacer la santé du cerveau en affectant les niveaux de stress, les mécanismes d’adaptation, la santé physique et les supports sociaux. Bien que le poids de la faible santé du cerveau due au VIH demeure inconnu au Canada, celui-ci semble élevé. Des études récentes dans d’autres pays développés employant une évaluation neuropsychologique complète, rapportent une prévalence (essentiellement faible) de déficits cognitifs de 30-50%. Des taux plus élevés ont été documentés chez les personnes âgées de plus de 50 ans, un groupe en expansion à la frontière des connaissances existantes par rapport aux effets combinés du vieillissement et de l’infection par le VIH de longue date.

La dépression est aussi commune chez les personnes vivant avec le VIH, avec une prévalence estimée à 36% pour les troubles dépressifs majeurs. Les troubles d’humeur peuvent affecter la cognition même chez les personnes en bonne santé. Pour le VIH spécifiquement, les plaintes cognitives ont été, de façon plus systématique, associées à des symptômes dépressifs qu’à la performance cognitive objective. Possiblement à cause du fait que les symptômes dépressifs et les difficultés cognitives sont deux facettes de la dysfonction du cerveau, ou du fait que la dépression affecte la performance cognitive (dans la vie et en situation d’évaluation) à travers ses effets sur l’attention ou la motivation. Ensembles ou séparément, la cognition altérée et la dépression frappent les patients durant leurs années productives et peuvent affecter l’observance aux médicaments, la fonction occupationnelle et sociale, la qualité de vie et pourrait même accélérer la mortalité. Le progrès pour comprendre l’hétérogénéité et la nature multifactorielle de la santé du cerveau compromise par le VIH demandera une caractérisation clinique soignée incluant son évolution à travers le temps accompagnée d’une recherche guidée par des hypothèses concentrées spécifiquement sur les phénotypes cliniques. Les progrès dans la prédiction, le traitement et la réduction de l’impact de la faible santé du cerveau, nécessiteront de meilleurs outils cliniques pratiques et des interventions basées sur des évidences spécialement adaptées aux personnes vivant avec le VIH.

La nomenclature décrivant le déclin cognitif et les modalités utilisées pour mesurer la cognition varient selon les disciplines cliniques, freinant la recherche interdisciplinaire. Pour le présent projet, nous avons choisi d’utiliser le terme de déficit cognitif et son opposé positif, l’habileté cognitive. Aussi, nous distinguons entre les déficits cognitifs mesurés directement (i.e. tests neuropsychologiques) et les déficits cognitifs perçus rapportés en tant que symptômes (mesurés ici par des questionnaires validés). Cette méthode va de pair avec les besoins des critères de diagnostic courant pour les désordres neurocognitifs associés au VIH. Notre vision de la cognition débute par les approches du diagnostic présent puis se concentre sur l’habileté cognitive en tant que quantité. Nous proposons que le déclin de l’habileté cognitive par rapport à la ligne de base de chacun sera l’élément déclencheur le plus utile pour l’intervention. Aussi, la stabilité ou les améliorations auront tendance à être plus importants pour le patient que lorsqu’ils rencontrent des seuils arbitraires de diagnostic. L’usage rigide des catégories de diagnostic peut empêcher la reconnaissance de difficultés réelles et limiter l’accès à des interventions utiles aux patients ayant des habiletés élevées (mais en détérioration). Les approches actuelles de diagnostic reposent sur l’évaluation neuropsychologique. Celles-ci requièrent la mobilisation de nombreuses ressources et ne sont pas universellement disponibles dans le contexte canadien.

Les prestataires de soins de première ligne qui devraient juger à qui et quand se référer sont très faiblement équipés pour répondre aux inquiétudes des patients par rapport à leur cognition. Quels symptômes signalent des difficultés qui justifient une investigation plus poussée ou une intervention? Quelles interventions sont appropriées? Y a-t-il des patients qui ne rapportent pas de symptômes et qui néanmoins ont des déficits et pourraient bénéficier d’une évaluation ou d’un traitement? Comment pourraient-ils être identifiés? Nous reconnaissons que l’un des défis clé de ce domaine réside dans la compréhension du lien entre ce que les patients disent autrement dit, ce qui importe le plus pour eux et ce que les tests objectifs indiquent. Développer de meilleurs moyens de mesure à la fois des symptômes et des signes réalisables dans la pratique quotidienne et réglés selon une série complète d’habiletés de la population est une première étape cruciale. Bien qu’une meilleure mesure et une description plus rigoureuse de la phénoménologie clinique et son évolution soient nécessaires, elles ne sont pas suffisantes. Nous devons lier ce niveau de recherche aux mécanismes pathogéniques sous-jacents pour pouvoir développer des approches rationnelles du traitement. Les personnes vivant avec le VIH ne peuvent se permettre d’attendre que les chercheurs comprennent entièrement cette complexité. Ils font face à des défis de santé cérébrale aujourd’hui avec des répercussions sur leur fonction quotidienne. La recherche pour d’autres troubles neurologiques a fourni les outils pour aider ces personnes maintenant. Notamment, la recherche sur les effets de l’exercice, l’autogestion et l’exercice cognitif chez les personnes âgées en bonne santé et celles vivant avec des troubles cognitifs légers, soutient une promesse dans l’amélioration des fonctions cognitives qui sont aussi communément affectées par le VIH. Il existe plus d’un concept parallèle entre ces conditions. Les changements pathologiques subtils reliés au vieillissement sont retrouvés dans les cerveaux des personnes vivant avec le VIH. L’hypothèse stipule que les interventions prouvées utiles pour le vieillissement et les troubles cognitifs légers feront une différence d’humeur, des performances cognitives et dans les résultats du vrai monde tels que le fonctionnement occupationnel et la qualité de vie avec le VIH. Ceci permettra aussi de fournir un indicateur de «meilleurs pratiques» par rapport auxquelles pourront être jugés les effets spécifiques des interventions sur les personnes vivant avec le VIH .